"Je prononce si mal les limites...les adieux..."
Le suicide est encore le dernier mot qui ne résonne pas. Il est à mon extrémité, comme l'amour. Ce sont des mots de déraison, deux pôles qu'on étudie dans les creux familiers des définitions sans logiques. Mon extrémité que j'aime ou que je tue...mon extrémité...
"Tu as su faire de l'amour cette science des insensés."
Alors à mon ultime vertige, c'est un choix de langage que je dois faire...entre ces deux mots qui ne se prononcent dans tes yeux "qu'Adieu"...mon extrémité chérie, embrassée, maudite, mais mon extrémité vécue.
Peut-être -et c'est un peut-être qui sent le redondant- peut-être, oui, que le masque de langage n'était que celui d'une actrice vraie...non plus d'une vraie actrice accompagné d'un ruban trop propre sur sa langue ? C'est une question que tu sais semer dans chaque battement qui me fait porter les yeux sur ton orgueil, cet orgueil que la moitié des femmes dissimule et que toi tu promènes sans même y prendre garde...tu es ce langage de scientifique, celle qui discèque les terminaisons de mes mots balbutiés autant que les terminaisons de mon coeur, enfin mon extrémité, toujours mal prononcé dans les racines de ton savoir de sentiments...ces sentiments là ont l'odeur des ronces affamées.
J'ai au coin des lèvres ce suicide de l'amoureux.
"Il faut écrire les initiales en noir."
...et ce suicide n'était qu'une initiale...
"La digue où les étoiles viennent une dernière fois accoster. La dernière lettre de mon crâne, prononcée avant les eaux noires."
Ton orgueil s'y était engouffré depuis le début de ma mort - ou alors faut-il appeler ça "naissance ? - Naissance oui, forcément, je ne te connaissais pas encore. Pas d'Adieu, déjà, même froid... - j'étais un corps de flammes fatiguées qu'on laisse reposer à la fenêtre entrouverte - et comme les yeux sont les fenêtres de l'âme, alors c'est là que j'ai trouvé le Repos, ce faux-frère bégayé de l'Adieu (il n'a pas sa saveur du définitif...quel pouvoir !). C'était un orgueil du poète, du sentiment forcément vécu...cet orgueil de la vue, souffle dans la marée des aveugles. Cet orgueil trois fois crucifié par l'Adieu mais qui revient comme une rime entêtante, le parfum frais du langage, des clairs-obscurs de Rimbaud...cet orgueil de coeur qui ne pompe plus que la nuit. J'ai respiré l'ombre bien avant toi. J'ai pleuré des éclairs d'encre avec plus de nerfs que les souvenirs d'un asile ! Voilà où j'étais, près à noyer mon corps, laisser mon coeur à l'écume en deuil : à ton rivage d'Amour noir...l'initiale...
Et hier :
Je t'imagine...dansant avec cette encre...toi. Femme de papier, imagination orgueilleuse, toi, vertige prétentieux du sol banal. Femme parfaite, femme de roman, mais femme de ma réalité incongrue aussi, de mes tempes dérèglées surtout. Toi. "Après l'initiale qui m'a longtemps tué : toi." Le reste du mot...cette moitié des femmes, ce demi-orgueil mal assuré. Moitié pitoyable, migraine tropicale qu'un baiser fait éclore dans le tissu de ta paupière, moitié rejetée par les livres sans auteurs sinon les seuls titres, même plus dorés, poussiéreux, mais femme grandiose...dernière valse épicée de ce monde fâde. Femme nerveuse, ma dernière réalité sensible. Tu le sais. Orgueilleuse forcément, oui tu le sais, tu le lis.
Noir. Le crâne fendu, dévorant les étoiles majuscules...
Et après ? Toi, après l'initiale.
- femme de papier -
Et ce papier là m'a coupé le coeur ! De ces plaies lisses comme le temps...sans venin peut-être sinon ton "je t'aime" tapis entre deux agonies de femmes de mauvais roman...ces milliers de plaies ouvertes par tes mots plus précis que la nuit, brûlant d'Adieu, un "Adieu" de couverture, un "Adieu" illustré par le soleil, un "Adieu" que les hommes ignorant connaîtront trop bien après toi : cette coupure là est un best-seller...
Et demain :
"Ton "je t'aime" me tue encore longtemps." - c'est une lueur noire que je lis, une impression gravée dans le dos de mes paupières et me discèque jusque dans mon sommeil ! - beau suicide...mais suicide quand même...ton océan noir m'étrangle... - mais après tout cela, tu auras de l'infini sous les ongles. Le même que celui qui me ronge. Tu seras ma mort majuscule, peut-être, mais tes pages seront éclaboussées de mes lettres à moi, mon langage à moi, mon "je t'aime" à moi...à mon tour je serai le serpent tapi...et j'embrasserai ton coeur avec les mots qu'on pleure au milieu de la nuit.
...le suicide est mon initiale autant que l'homicide...
Voilà où j'en suis, seulement à cette initiale.
Dément, fou, meurtrier, malade, poête...voilà les siamois de l'amoureux !
"Je n'ai pas ces yeux là, peints du silence abstrait !"
"Et de ces larmes rouges, ou noirs, ou je ne sais plus. Les points blessés d'impressionistes endeuillés...mes deux plaies où s'écoulent mes pupilles comme deux volcans timides qui saignent..."
C'est l'heure. C'est l'heure forcément...mes tempes sont réglées, enfin, sur ton ouvrage. Ton geste qui laisse les étoiles intactes et ne blesse que le noir, à ton tour tu dévore l'ombre...c'est l'heure. "Je jette le navire à l'eau...mes flancs fouettés par les vagues d'encres." Ton Adieu est un mauvais écrivain - c'est un océan sans la saveur des courants, sans le levé du soleil que le vieux rose attend impatiemment - je m'éloigne des côtes de ton roman trop propre...naufragé... "Dis fou, c'est un frère plus sincère !" Fou alors...un fou noir, les veines remplies de ton eau salée, les poumons noyés de cyanure. Ma grande gueule caressé par un vent de ronces. Les épines torturant mes veines déjà remplies de cette Initiale orgueilleuse. À bout de souffle, le crâne étendu aux mains de l'hiver, sans ces mots à moi qui ont un temps érodés ta falaise abrupte...
La souffrance n'est que l'euphémisme de ton geste....alors, forcément...
"Tu as de l'infini sous les ongles."