Liam Daläa Chef Administrateur
| Sujet: La Bulle - Richard Crashaw Mar 28 Fév - 3:00 | |
| Il y a ce poème latin de la renaissance que j'adore mais que je ne retrouvais pas en entier sur internet, alors je me suis déniché le livre et je l'ai recopié mot à mot. Je le met à la vue de tous, sur ce forum. J'espère que je n'ai pas fait trop de coquilles. Bulla
Quid tu ? quae nova machina, Quae tam fortuito globo In vitam prosperas brevem ? Qualis virgineos adhuc Cypris concutiens sinus, Cypris jam nova, jam recens, Et spumis media in suis, Prompsit purpureum latus, Concha de patria, micas, Pulchroque exsilis impetu ; Statim et millibus ebria Ducens terga coloribus Evoluis tumidos sinus Sphaera plena volubili : Cujus per varium latus, Cujus per teretem globum Iris lubrica cursitans Centum per species vagas Et picti facies chori Circum regnat et undique ; Et se Diva volatilis Jucundo levis impetu Et pulchre dubitat : fluit Tam fallax toties novis Tot per reduces vias Et errores reciprocos Spargit vena coloribus Et pompa natat ebria. Tali militia micans Agmen se rude dividit Campis quppe volantibus Et campi levis aequore Ordo insanus obambulans Passim se fugit et fugat, Passim perdit et invenit. Pulchrum spargitur hic Chaos. Hic viva, hic vaga flumina Ripa non propria meant, Sed miscent socias vias, Communique sub alveo Stipant delicias suas : Quarum proximas vaga Tam discrimine lubrico, Tam subtilibus arguit Iuncturam tenuem notis Pompa ut florida nullibi Sinceras habet vias, Nec vultu niteat suo, Sed dulcis cumulus novos Miscens purpureos sinus Flagrat divitiis suis, Privatum renuens jubar. Floris diluvio vagi, Floris sydere publico Late ver subit aureum Atque effunditur in suae Vires undique copiae. Nempe omnis quia cernitur, Nullus cernitur hic color, Et vicinas contumax Allidit species vagas. Illic contiguis aquis Marcent pallidulae faces ; Undae hic vena tenellulae, Flammis ebria proximis, Discit purpureas vias, Et rubro salit alveo ; Ostri sanguineum jubar Lambunt lactea flumina : Suasu caerulei maris Mansuescit seges aurea ; Et lucis faciles genae Vanas ad nebulas stupent ; Subque uvis rubicundulis Flagrant sobria lilia ; Vicinis adeo rosis Vicinae invigilant nives, Ut sint et niveae rosae, Ut sint et roseae nives, Exstinguuntque nives rosas. Illic cum viridi rubet, Hic et cum rutilo viret Lascivi facies chori. Et quicquid rota lubrica Caudae Stelligerae notat, Pulchrum pergit in ambitum. Hic caeli implicitus labor, Orbes orbibus obvii ; Hic grex velleris aurei, Grex pellucidus aetheris, Qui noctis nigra pascua Puris morsibus atterit ; Hic quicquid nitidum et vagum Caeli vibrat arenula Dulci pingitur en joco. Hic mundus tener impedit Sese amplexibus in suis : Succinctique sinu globi Errat per proprium decus. Hic nictant subitae faces, Et ludunt tremulum diem ; Mox se surripiunt sui et Quaerunt tecta supercili ; Atque abdunt petulans jubar, Subsiduntque proterviter. Atque haec omnia quam brevis Sunt mendacia machinae ! Currunt scilicet omnia Sphaera, non vitra quidem, (Ut quondam Siculus globus) Sed vitro fragili magis, Et vitro vitrea magis.
Sum venti ingenium breve, Flos sum, scilicet, aeris, Sidus, scilicet, aequoris ; Naturae vaga fabula, Naturae decus et dolor ; Dulcis, doctaque vanitas ; Aurae filia perfidae Et risus facilis parens. Tantum gutta superbior, Fortunatius et lutum. Sum fluxae pretium spei ; Una ex Hesperidum insulis, Formae pyxis, amantium Clare caecus ocellulus ; Vanae et cor leve gloriae. Sum caecae speculum Deae, Sum Fortunae ego tessera, Quam dat militibus suis : Sum Fortunae ego symbolum, Quo sancit fragilem fidem Cum mortalibus ebriis, Obsignatque tabellulas. Sum blandum, petulans, vagum, Pulchrum, purpureum et decens, Comptum, floridulum et recens, Distinctum nivibus, rosis, Undis, ignibus, aere, Pictum, gemmeum et aurem, O sum scilicet o nihil !
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La Bulle
Qui es-tu, planète neuve, Sphère née du pur hasard, D'éphémère vie éprise ? Telle, et aussi virginale, Cypris secouant son sein, Cypris toute jeune et neuve, Au milieu de son écume Dressa son flanc empourpré, Toi, de ta conque natale Tu jaillis, élan superbe ! Et ivre aussitôt de mille Vives couleurs tu te cambres Et fais rouler ton sein gonflé, Tournoyante sphère pleine, Et dessus tes flancs changeants, Et dessus ton globe lisse Iris bondissante glisse, En cent voltes spécieuses D'une danse fallacieuse Menant le bal tout autour ; Puisque la déesse ailée En un bel élan léger, En un décevant vertige Se suit, folle, en se fuyant Et exquisement hésite : Si captieuse l'eau s'écoule En tant de revirements Et de hasardeux retours, Dans une orgie de couleurs, Cortège ivre où elle nage. C'est la brillante manœuvre De deux armées qui se scindent Sur une volante plaine, Sur l'eau d'une mince plaine. Des bataillons en désordre Se fuyant et poursuivant, Se perdant et retrouvant : Éclats d'un chaos splendide. Ici des ruisseaux vivants, Divaguant quittent leurs rives Pour entremêler leurs cours Et gisant en même lit Y confondre leurs délices : Promiscuité indécise Dont un cerne si ténu, Dont un si subtil indice Argue la jointure fragile Que ce cortège fleuri N'a jamais une voie pure Ou n'offre un visage uni ; Mais un doux entassement, Annexant des vagues pourpres, De leur luxe s'illumine Et leur propre éclat confisque. En un déluge floral, En floralies sidérales, Un printemps doré s'éploie Sans limite et dilapide La profusion de son faste. Toutes les couleurs s'y voient Sans que s'y discerne aucune ; Leur voisinage rebelle Les formes vagues altère. Là-bas, au contact des eaux Des feux pâles s'alanguissent ; Ici un filet limpide, Enivré des flammes proches, Se fourvoie dans l'écarlate, Saute en un lit cramoisi ; Là les fleuves laiteux lèchent L'astre sanglant de la pourpre ; A l'azur d'un océan L'or des moissons s'apprivoise ; Des yeux pleins de lumière Mirent de vagues nuages ; Au pied de grappes vermeilles S'embrasent de sobres lys ; Près de la rose voisine De si près veille la neige Que la rose un peu s'enneige Et la neige un peu rosit, Neige, de rose exaltée, Rose, par neige adoucie. Ici, rougissant, verdoient Et là, verdissant, rougeoient Les moirures d'un ballet ; Portant toutes les nuances De l'éventail ocellé Un arc splendide s'ostente ; Ici s'embrouillent les cieux, Mondes à l'encontre des mondes Là, sous sa toison dorée Le clair troupeau d'éther De pures morsures broute Les prés obscurs de la nuit ; Mille vagues étincelles Criblant les plages du ciel Y sont peintes par doux jeu. C'est un monde délicat Qui s'entrave en ses étreintes Et sous les voiles s'égare Au travers de ses prestiges. Ici clignent des flambeaux Simulant un jour tremblant Et qui bientôt se dérobent, Cherchant l'abri d'un sourcil, Voilant l'éclat de l'audace Et s'humiliant par défi. Et le tout n'est que prestiges D'un monde si éphémère, Où tout court sur une sphère Qui n'est même pas de verre (Comme fut la sicilienne), Mais plus brillante que le verre Et que le verre plus fragile, Bref plus verre que le verre !
Je suis l'esprit bref du vent, Je suis, oui, la fleur de l'eau, Ou bien l'astre de la mer, Jeu doré de la Nature, Vain on-dit de la Nature, Rien qu'un songe de Nature, Gloire et martyre du frivole, Exquise prouesse vaine, Fille de la brise perfide Et mère du rire agile : Seule la goutte est plus glorieuse Et la boue plus heureuse. Je suis le prix de l'espoir vain, Une des îles Hespérides, De la beauté je suis l'écrin, Des amants l'œil clair-aveugle, De la gloire le cœur vide. Je suis de l'aveugle déesse Le miroir, ou le jeton Qu'à ses soldats elle donne ; Je suis le sceau dont Fortune Scelle ses promesses vaines A l'égard des mortels ivres, Quand elle signe ses traites. Je suis douce, vive, changeante, Belle, brillante, élégante, Parée, fleurie, juste éclose, Ornée de neiges, de roses, D'ondes, de flammes, d'air léger, Bariolée, gemmée, dorée, Je suis, je l'avoue (oh !) rien !
The delight of the Muses - Richard Crashaw Traduction de Pierre Laurens
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