Voilà, je bosse actuellement sur la pléïade de Paul Eluard, qui a oublié d'être mauvais sur de nombreux poèmes. Je connaissais ses poèmes les plus connus, mais pas ceux que tout le monde oublie, et qu'il faut aller chercher en bibli parce qu'ils font trois vers, et sont très inégaux...
Je suis tombé sur l'opuscule : Hommage aux martyrs et aux combattants du ghetto de Varsovie, écrit en 1950, et deux textes m'ont fait jeter le bouquin (pas trop fort non plus).
Joseph Staline
Et mille et mille frères ont porté Karl Marx
Et mille et mille frères ont porté Lénine
Et Staline pour nous est présent pour demain
Staline dissipe aujourd’hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite
Grâce à lui nous vivons sans connaitre d'automne
L'horizon de Staline est toujours renaissant
Nous vivrons sans doute et même au fond de l'ombre
Nous produisons la vie et nous réglons l'avenir
Il n'y a pas pour nous de jour sans lendemain
D'aurore sans midi de fraîcheur sans chaleur
Staline dans le cœur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d’un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.
L'U.R.S.S Seule Promesse
L'U.R.S.S pour elle et pour nous veut la paix
Elle a connu la guerre elle efface ses ruines
En travaillant les yeux ouverts sur ses victoires
Elle a vaincu la solitude
Unie en elle-même elle unira le monde
Frères l'U.R.S.S est le seul chemin libre
Par où nous passerons pour atteindre à la paix
Une paix favorable au doux désir de vivre
La nuit se fait toute petite
Et la terre reflète un avenir sans tâche.
Alors là, petit point historique rapide. Le ghetto de Varsovie a l'histoire qu'on connaît, et quelque part, Eluard a raison de leur rendre hommage. Oui mais voilà, on commence par Staline. Ce qui rappelle que lors de l'Insurrection de Varsovie, les armées russes laissèrent les allemands achever la résistance, qui souhaitait reprendre le pouvoir sur ses terres. Les russes ont laissé Varsovie se faire décimer par calcul politique, et pour rentrer en vainqueur.
Plus largement, j'ai l'impression, en lisant l'opuscule, qu'Eluard a un fantasme du communisme plutôt que de vraies connaissances du communisme. Visiblement celui qui a écrit le poème Liberté n'est pas au courant des camps, des purges, du Staline totalement parano qui déporte quasiment tous ses proches, la police du parti, les chuchoteurs...ce qui m'amène à poser une question autour de la poésie : oui pour l'embellissement, oui pour l'art poétique, la virtuosité, mais n'est-il pas nécessaire d'avoir des connaissances ou même un peu de conscience avant que d'écrire sur un chef politique - ou sur une politique, ou des principes politiques ? Oui, l'époque était différente, mais nous sommes en 1950 ! La date n'est pas si éloignée !
Ce fantasme rejoint un peu celui de Renaud, le chanteur, qui voulait du communisme en France, mais quand il a chanté en URSS, le fiasco fut tel, la confrontation avec le parti prit une telle ampleur qu'il devint quand même parano et dégoûté...